La privation intentionnelle des rites funéraires : un mal radical par Muriel Katz (Tome 2, 9, 2013)

Muriel Gilbert, Dr Psych., Maître-assistante en psychologie clinique, Institut de Psychologie, Anthropole, Université de Lausanne, CH.

Texte paru in Revue Francophone du Stress et du Trauma 2008, 8(2), 114-122.

Résumé : La “disparition” forcée de personnes constitue une importante violation des droits humains. Pratiquée à large échelle pour terroriser des groupes impliqués dans des conflits politiques ou militaires, elle consiste en l’arrestation arbitraire, la séquestration, la torture, et le plus souvent l’assassinat de personnes dont la dépouille ne sera jamais restituée aux proches, ce qui permet de nier le crime. Outre les questions juridiques qu’elle pose, cette pratique barbare interroge les cliniciens aux prises avec les proches des “disparus” : les répercussions de ces actes creusent de profondes séquelles psychiques. Or, même si la souffrance engendrée ressort bien de la destructivité humaine, on peut se demander si elle ne relève pas davantage de ce que certains psychanalystes appellent les “deuils spéciaux” — que du traumatisme. Envisagée sous cet angle, la clinique du mal déborderait celle du trauma. Mais en tant qu’elle constitue une violation perverse du pacte social et symbolique que constitue universellement la ritualité funéraire, la “disparition” forcée de personnes pose également problème sur le plan anthropologique. L’on tentera de montrer que la prise en compte de l’interdit du cannibalisme sauvage comme prohibition majeure, au même titre que le meurtre et l’inceste, permet d’éclairer la compréhension que nous avons de la violation d’un droit humain fondamental, compris comme figure du mal dans notre monde contemporain.

Abstract : Intentional deprivation of funeral rites. A radical evil.
The forced disappearance of persons constitutes an important violation of human rights. Widely practiced in order to terrorize groups involved in political or military conflicts, it consists of arbitrary arrest, sequestration, torture and more often than not the assassination of persons whose corpse will never be returned to their relatives, thus permitting denial of the crime. In addition to the legal questions which this barbaric practice raises, it questions clinicians who have these missing person’s relatives in their charge: the repercussions of these acts may lead to deep psychological sequels. Moreover, even if the involved families’ suffering is the consequence of the human destruction, one wonders if this does not come more from what certain psychoanalysts term” particular mourning” than from the trauma itself. Seen from this point of view, treating the consequences of the evil act would overtake that the trauma. However, it comes from a perverse violation of the social and symbolic pact which funeral rites universally constitute, the forced disappearance of persons poses equally a problem from an anthropological angle. We will attempt to show that in considering the ban of savage cannibalism as a major prohibition, on the same level as murder and incest, we are able to shine a light on our understanding of the violation of a fundamentally human right, as a symbol of evil in our modern world.

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